mercredi 9 janvier 2008

La troisième voie


Changer le monde. Beau programme, mais pas facile. On se sent bien seul, et surtout on ne sait pas trop comment faire. On a communément deux façons d'essayer de changer un système : le conflit avec ce système et l'infiltration de ce système.

Mais le conflit avec le système, la guerre, en d'autres termes, c'est exactement ce que font les Etats-Unis en Irak : ils tentent d'imposer la démocratie par la force. Oui, vous lisez bien : ils veulent imposer une noble idée d'une manière pas noble du tout. Et là, c'est clairement contradictoire.

Alors vouloir changer le monde actuel pour un monde meilleur en faisant tout péter, en faisant une révolution avec des têtes qui tombent, c'est un peu la même chose. Comment se targuer de promouvoir les valeurs de respect de la vie, de sensibilité, de solidarité, de non-jugement, de sérénité, d'amour et de plaisir si c'est pour les faire adopter de force par le système ?

Voie sans issue, car de toute façon, le système actuel est trop bien gardé, avec la puissance auto-entretenue du dieu-argent. Pour le dire simplement, le système est tellement parfait qu'il est capable de mettre n'importe quel opposant à genoux grâce à la manipulation et la force.

L'alternative, c'est d'infiltrer le système. Mais le problème est du même ordre que le précédent : une fois qu'on est dans le système, on y est, et pas moyen de penser en dehors de lui. Et le système a tôt fait d'écraser, ou plutôt d'absorber ceux qui l'ont infiltré pour le combattre. L'exemple de Nicolas Hulot est édifiant : il prône l'écologie, adossé à des multinationales dont le seul objectif est de faire consommer, donc de hâter l'épuisement des ressources et la déshumanisation de l'existence.

Là encore, la puissance de manipulation du système est telle que personne n'en sort, que personne n'arrive à changer le système contre son gré. Les hommes politiques, par exemple, ont les moyens de changer le système pour le rendre plus démocratique, plus juste, notamment en limitant strictement le nombre de mandats susccessifs possibles et en appliquant strictement une règle contre les cumuls. Or, la situation actuelle arrange bien le personnel aux commandes, qui ne va pas scier la branche sur laquelle il prospère. On ne peut donc espérer aucun changement de cet état de fait, malgré la volonté du peuple et son ras-le-bol manifeste des pratiques actuelles du monde politique.

Certains mouvements, comme les religions ou la franc-maçonnerie, par exemple, bien placés pour faire évoluer le système vers plus d'humanité, sont devenus au contraire des piliers du système et ne font que le renforcer. Il ne faut rien attendre de leur côté, car ces mouvements en font partie : luttes de pouvoir, connexions avec le monde financier, conservatisme, sont notamment leurs points communs.

Focale oblique

Un mouvement international, apparu il y a une vingtaine d'années, semble faire tache, dans ce paysage : le mouvement international Slow Food. Est-ce un lobby ? Pas vraiment, car il étudie, analyse et propose, mais se tient en dehors des circuits traditionnels d'influence. Un mouvement politique ? Pas vraiment, car il se situe complètement en dehors de l'échiquier politique traditionnel : il n'est ni de gauche ni de droite. Un club de nantis ? Pas vraiment, car il oeuvre aussi pour les paysans opprimés par la mondialisation du commerce et des goûts. Une ONG ? Un peu, mais pas avec le visage traditionnel des ONG pleines de bonnes intentions qui viennent secourir les faibles et les opprimés.

Cet exemple est intéressant, car Slow Food est tout simplement hors du système, et le combat avec d'autres armes que celles du conflit direct et de l'infiltration. Le système est là, et on accepte ce fait. Il est puissant, certes. Et alors ? Pourquoi ne pas proposer un autre système en expliquant pourquoi.

C'est là la force de Slow Food : il propose une autre vision du monde mais est impossible à étiqueter, donc à mettre au pas. Insaisissable, donc. Et tout cela malgré tout ce que le système nous montre chaque jour (souffrance, inégalités, injustices, manipulations, peur, incitations à consommer et entretien de la culpabilité) et que je ne vais pas une fois de plus étaler ici, on peut s'en passer pour une fois. La vision que propose Slow Food est donc complètement dingue, impensable, folle, dans notre monde régi par le profit.

Bien au contraire, Slow Food propose un monde meilleur ici, tout de suite, là, dans votre assiette, chez vous. Ces sourires fraternels et ces mines réjouies qu'affiche la communication de Slow Food sonnent vrai, juste, à des années-lumière des sourires Colgate de nos pubs omniprésentes. Car nous avons tous, absolument tous connu la convivialité autour d'une assiette ou d'un verre, depuis les temps préhistoriques où la horde se retrouvait pour manger le produit de la chasse autour du feu.

Une autre vision du monde, faite de don, de partage, de sensualité, de liens, de plaisir et surtout d'Amour. Voilà la troisième voie que nous montre Slow Food et tous ceux qui oeuvrent à changer le monde avec éveil et détachement.

Ces changeurs de monde pensent "en dehors de la boîte", ils voient avec une focale oblique, c'est-à-dire qu'ils sont suffisamment éveillés, qu'ils ont suffisamment ouvert les yeux pour voir que le système n'est qu'un système qui s'auto-nourrit de l'aveuglement général, grâce à la puissance de l'argent, de la télé et de la publicité. Qui le laissent de côté et préfère mettre de l'énergie là où ça fait du bien au coeur et à l'âme.

Vivre mieux

Vont-ils changer le monde, ces hommes et ces femmes qui côtoient le système et proposent une autre manière d'exister, sans s'opposer de front au système ? Peut-être, ou peut-être pas. Ce n'est pas un problème, ce n'est pas grave. Ce n'est pas une raison pour ne rien faire. Parce que se résigner, c'est à coup sûr souffrir, de toute façon. Vivre autrement, dans l'amour et la sensualité, c'est à coup sûr vivre mieux.

Il y a beaucoup de façons de le faire, et dans le respect de chacun, on y arrive très vite. Lancez-vous ! Jetez votre télé. Apprenez à vous aimer suffisamment pour ne pas avoir besoin du regard des autres. Sortez de votre dépendance à l'argent : le bonheur n'est pas dans la consommation. Faites de l'introspection et sortez de vos dépendances (alcool, sucre, travail, médicaments...). Tissez des liens plus intimes avec les personnes de votre entourage. Faites-vous plaisir et partagez ce plaisir de vivre. Réapprenez à jouir de vos sens, de vos cinq sens, sans exception.

Cherchez la beauté autour de vous, ou créez-la de toutes les façons possibles. N'attendez pas qu'une comète passe pour faire des voeux : exprimez vos désirs profonds. Prenez soin de votre corps, aimez-le. Réapprenez à donner, à faire des cadeaux qui vous coûtent (pas forcément de l'argent). Prenez le temps de vivre, reprenez la maîtrise de votre emploi du temps. Dites plus souvent "bonjour", "s'il vous plaît", "merci", "avec plaisir", "bienvenue" : ce sont véritablement des mots magiques, et pas que pour les enfants.

Cette liste n'est bien entendu pas exhaustive. Quand on l'applique, on est complètement en dehors du système. Le système : cet endroit où l'amour est absent, où le plaisir est coupable ou tarifé, où le lien est intéressé, et où la richesse est matérielle.

Laissez-le tourner sans vous. Nous avons tous le pouvoir de nous libérer. Il suffit de petit à petit s'éloigner du système et d'aller chaque fois qu'on peut vers quelque chose de plus humain. Un indice : quand vous sentez de l'amour, c'est le bon chemin !