mercredi 19 mars 2008

Schizophrénie


Un petit mot bien abstrus pour commencer. Qui veut juste dire que si on regarde bien les choses, on se trouve devant deux attitudes radicalement opposées, venant des mêmes personnes, pour leur relation à un même sujet : l'animal.


Bon, commençons par notre relation aux animaux que nous mangeons. Nos sociétés modernes nous épargnent, dans la plupart des cas, la mise à mort de l'animal que nous allons "consommer". Sauf peut-être pour les huîtres, que j'adore, qui sont vivantes lorsque nous les mâchons. Ah ! C'est dégueulasse ! Certains vont même jusqu'à les avaler tout rond, laissant le soin à l'acide chlorhydrique de notre estomac le soin de les occire. Mais à quoi bon manger des huîtres si ce n'est pas pour les déguster dans toute la splendeur de leur goût iodé, métallique et leur consistance gluante, aqueuse. Moi, quand j'embrasse, je mets la langue !


Bref, après cette digression pleine d'embruns, examinons un peu le coeur du problème. Les Britanniques et d'autres peuples aussi, ont résolu le problème linguistiquement. Pig désigne le cochon (l'animal) et pork la viande qu'on mange,par exemple. En espagnol, pez est le poisson qui frétille dans la mer et pescado celui qu'on va déguster. Mais aujourd'hui, avec l'élevage en batterie de la plupart des espèces animales que nous consommons, on ne fait plus la distinction entre la petite bébête et ce qui se trouve dans notre assiette... et qui est mort.


Le résultat, c'est que personne ne se choque de savoir ou de voir des animaux vivre - peut-on appler ça vivre - dans des camps de concentration, destinés à nous nourrir. Je dis des "camps de concentration", car dans son excellente enquête journalistique sur la malbouffe, William Raymond (Toxic, éditions J'ai Lu) constate que la seule sortie possible, c'est l'entrée de l'abattoir. Entre mourir de faim ou être gavé de nourriture industrielle, voire de sa propre merde, quelle est la différence ?


Bref, à part quelques végétariens et/ou hippies défenseurs de la cause animale - qu'on prend pour des illuminés car il y a bien d'autres problèmes à régler sur cette planète - la quasi-totalité de la population ne s'émeut absolument pas des conditions atroces de production de la viande que nous consommons.


Paradoxe


Et c'est là où je veux en venir. Entre ces animaux qui n'ont pas d'âme, qui ne sont que de la "chair à saucisse" (pour paraphraser la "chair à canon" qui n'est finalement pas si loin) et les autres animaux auxquels nous prêtons une âme, il n'y a que notre regard.


Oui, regardez autour de vous : combien d'entre nous ont des animaux de compagnie auxquels "il ne manque que la parole" ? On les nourrit avec amour, on sort même sous la pluie ou le froid pour les promener, on les flatte, on leur parle, on leur dit des mots d'amour, on a même l'impression qu'ils nous comprennent. Oh ! ils sont si mignons...


Mais quelle différence y a-t-il entre une vache soumise 24h/24 à la traite, avec toutes les maladies qui s'ensuivent, et un chienchien à sa mémère ? Ce sont des animaux. Des non-humains avec plein de gènes en commun avec nous, d'ailleurs. Et pourtant on nie totalement ceux qu'on mange. On nie même leur "animalité".


J'ai été choqué, oui, lorsque j'ai vu une publicité vantant des cuisses de poulet avec la photo d'un paysan au milieu de son pré avec des cuisses de poulet sur pattes. Oui, choqué, parce que l'animal ne compte plus : il est devenu produit de consommation. On ne veut même plus le voir sous sa forme "vivante".


Un jour, j'ai choqué (à mon tour !) ma belle-famille, catholique fort pratiquante, lorsqu'après leur prière d'amour et de paix d'avant agapes, j'ai prononcé une prière aborigène, qui remercie l'animal qu'on va manger d'être né, d'avoir vécu et d'être mort pour nous nourrir. Eh oui, quand on y pense, c'était là sa destinée depuis le début. Et la moindre des choses, c'est de respecter l'être vivant qui va nous nourrir et nous permettre de vivre un peu plus longtemps.


Et là, j'avoue que je ne comprends pas qu'on puisse à se point être schizophrène dans notre relation à l'animal. Et je sens, sans pouvoir expliquer pourquoi, que notre humanité en est amputée d'autant. Que quelque chose ne tourne pas rond, quand on instrumentalise la vie à ce point. Quand on détourne le regard pour ne pas voir que ces animaux auxquels on prête une âme sont les mêmes qu'on "élève" dans des conditions épouvantables, sans sourciller, comme des marchandises.


Gaspillage


Et encore, je ne vous parle même pas de la qualité nutritive d'animaux stressés, désespérés, malheureux, drogués et malades. Je dis seulement qu'il n'est pas nécessaire de manger autant de viande, ni d'un point de vue physiologique, ni d'un point de vue environnemental. La viande, ça demande beaucoup, beaucoup d'eau et d'énergie : c'est un énorme gaspillage, en quelque sorte, si on en abuse. Et on en abuse, alors que c'est parfaitement inutile.


Bref, quelque chose ne tourne pas rond avec cette loi du profit. On a des attitudes contradictoires, non ? Il y a tellement de propriétaires d'animaux de compagnie, qu'on pourrait attendre un peu plus de tendresse pour tous ces animaux qui passent par l'enfer pour nous nourrir. C'est tout de même nous qui les mangeons, non ? Ou qui les consommons, c'est peut-être plus exact.